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Mars à travers les yeux

d'un géologue

AUTEUR DE L'ARTICLE

  Dans la recherche de la vie, un ingrédient principal est généralement oublié par les chimistes : les roches. En effet, on pense que la vie est apparue autour des sources hydrothermales dans l’océan, c’est-à-dire, où l’eau chaude est en contact avec des roches.

 

   Au début de l’histoire de notre Système Solaire, les conditions environnementales sur les planètes rocheuses, c’est-à-dire Vénus, Mars et la Terre, étaient assez semblables. Il y a environ un milliard d’années, Vénus est devenue un environnement hostile et, s’il y avait de la vie, elle a aujourd’hui complètement disparu, de même que les indices de son existence. Reste alors Mars à explorer.

   Toute trace de vie à la surface de Mars serait maintenant à l’état de fossile. La problématique est alors de savoir comment nous allions chercher des traces de vie fossile. En effet, les cellules sont trop petites pour être observées. Toutefois, les molécules organiques qui formaient ces cellules sont parfois piégées dans des roches, et peuvent ainsi être analysées. Même piégées, ces cellules ont pu être dégradées par des milliards d’années d’exposition aux rayonnement provenant du Soleil et de la galaxie. La découverte d’une vie extraterrestre martienne, même éteinte et fossilisée, permettrait de confirmer l’hypothèse dominante dans le domaine de l’exobiologie selon laquelle la vie serait apparue d’ingrédients communs dans l’Univers. Quelles conséquences en tirer ? Nous ne serions plus « seuls dans l’Univers ». Les recherches pour des exoplanètes habitables et peut être habitées pourraient en sortir renforcées.

   CLUPI devait avoir des caractéristiques bien spécifiques. Comme tout instrument spatial, il est petit et léger. Il consomme peu d’énergie car le robot Rosalind Franklin n’a pas de générateurs nucléaires, comme les rovers de la NASA, mais seulement des panneaux solaires. CLUPI est également très robuste. Il devra survivre aux fortes secousses lors du lancement et de l’atterrissage. Quant à ses composants, ils ont été conçus pour faire face à des températures variant entre -150°C et plus 20°C, tout en étant capables de fonctionner jusqu’à -50°C. Le robot ne doit pas résister seulement au climat martien. Afin de ne pas polluer la surface de Mars avec des microbes terrestres, le robot et l’ensemble de ses instruments, c’est à dire la charge utile, sont stérilisés à la chaleur sèche à 125°C pendant 35 heures.

 

  

 

   La vue est d’une importance capitale pour un géologue. Sur Mars, son travail débute avec des observations au grand angle grâce aux images de la caméra panoramique, PanCam. Cette étape est décisive pour choisir où commencer les recherches. Une fois l’emplacement choisi, nous l’observons avec une loupe (CLUPI), avant de prendre un échantillon, et de préparer une lame mince de la roche destinée à être observée avec un microscope optique.

 

   Ainsi, le travail effectué par d’autres instruments comme les spectromètres ou le synchrotron qui demandent une source d’énergie extrêmement élevée, débute toujours par des observations optiques. CLUPI est donc l’unique instrument de la charge utile de Rosalind Franklin qui prendra des images détaillées de la carotte prélevée dans le sous-sol. Cette carotte qui est ensuite ingurgitée dans le laboratoire pour être broyée et analysée par les spectromètres afin d’identifier la minéralogie et la présence éventuelle de molécules organiques. Au terme de ce minutieux travail, CLUPI devrait fournir le contexte sédimentologique du lieu. Et si les cellules des bactéries fossiles sont trop petites pour être vues par CLUPI, il pourrait cependant observer des colonies de cellules, plus grandes et qui laissent parfois des traces visibles dans les roches.

Piégées dans des roches

La mission ExoMars

DIRECTRICE DE RECHERCHE, GÉOLOGUE, EXOBIOLOGISTE

   Au-delà de la possible découverte d'une vie extraterrestre, Mars est un terrain de jeu formidable pour les scientifiques qui s'intéressent aux origines de la vie. La planète rouge n’a jamais été totalement habitable comme la Terre, même au plus fort du développement de la vie. Les endroits hospitaliers sur la jeune planète étaient isolés, comme des oasis. Dans ces conditions, la vie a pu apparaître à des emplacements et des périodes différentes : c’est ce que nous appelons « l’habitabilité ponctuée ». En conséquence, tandis qu’à un endroit la vie était déjà florissante, dans un autre, elle émergeait à peine et, en lieu et place de traces de cellules bien formées, nous n’aurions trouvé qu’une collection de molécules complexes.

 

 

 

 

 

 

 

 

   Mars nous offre une énorme palette de possibilités pour comprendre l’origine de la vie – à condition d’atterrir dans l’endroit le plus propice. Nous ne disposons que des données orbitales pour choisir le site d’atterrissage, données formidables mais qui ne sont pas suffisantes pour faire une carte géologique détaillée. Néanmoins, le site doit être relativement plat et sans obstacles. Et puisque le rover ne peut atterrir à un emplacement précis, il faut trouver un site avec ces caractéristiques qui s’étende sur près de 120km. Or, pour les géologues (et les exobiologistes), les obstacles dans le sens d’affleurements, tels que des falaises sont essentiels pour étudier les roches.

   Bien que la vie ait pu émerger dans sa jeunesse grâce à la présence d’eau à sa surface, Mars est devenue inhospitalière après 3.8 milliards d’années. Du fait de cette courte période d’habitabilité, la vie, si elle a existé, est restée dans un état d’évolution primaire, similaire aux bactéries primitives que l’on trouve sur Terre.

Tous nos articles ont été écrits en collaboration avec des scientifiques et chercheurs. 

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Westall logopng

   À la fin des années 90, je m’imaginais devenir la première géologue à fouler le sol Martien. A l’époque, je participais à des réunions au sein de la NASA pour préparer l’envoi d’hommes et de femmes sur Mars dès 2005. Rapidement, nous avons compris que ce n’était pas une mince affaire. Le temps passe et je me console, non sans passion, avec la mission ExoMars et la formation des géologues qui iront peut- être un jour sur Mars. Ainsi, depuis 1996, je suis impliquée scientifiquement dans la conception de la mission ExoMars. J’étudie le meilleur protocole pour chercher et identifier des traces de vie fossile éventuelles avec l’instrumentation du rover européen Rosalind Franklin. Je m’intéresse également à l’exploitation des données scientifiques.

 

 

 

 

 

 

   En 2003, j’ai répondu à l’appel d’offre de l’ESA pour l’instrumentation de la mission en proposant  deux instruments  : un microscope et une loupe. Tous deux ont été acceptés mais avec le temps, ils sont devenus un seul instrument surnommé CLUPI, le Close-Up-Imager. Le projet a été conduit par le Space Exploration Institute de Neuchâtel en Suisse, et fabriqué par Thales Alenia Space, à Zurich, en collaboration avec un ensemble de sous-traitants industriels. Une vraie prouesse technologique, très versatile. Il peut prendre des images en couleur des affleurements à une distance éloignée mais également des détails à très haute résolution comme la carotte qui sera prélevée du sol. Ces photos témoigneront de l’environnement dans lequel la roche s’est formée. Était-ce un lac, un océan profond, des marais ou une plage ? Comprendre le contexte est essentiel pour étudier les éventuelles traces de vie fossile.

  Au fur et à mesure du temps, l'environnement martien a été figé grâce à une température moyenne de -53° C. Ainsi, la possibilité de trouver des traces d’une vie martienne, maintenant disparue de la surface (et peut être toujours en activité dans des niches protégées sous la surface), est une éventualité bien réelle.

Sylvain Bouley, géologue et planétologue 

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La loupe du géologue

            "Au-delà de la possible découverte d’une vie extraterrestre,

             Mars est un terrain de jeu formidable pour les scientifiques

                          qui s’intéressent aux origines de la vie."

          "Toute trace de vie à la surface de Mars

              serait maintenant à l’état de fossile."

                     "Cette observation est primordiale car il s’agira du moment

          décisif où l’on pourra regarder la carotte et sa structure avant son broyage."

Affleurement

 

Intersection d'une formation géologique.

La charge utile

 

La partie d'un engin spatial qui est destinée à remplir

les objectifs de la mission.

Carotte

 

Échantillon cylindrique prélevé dans le sol.

Exobiologie

 

Étude de la vie dans l'univers. 

Exoplanète

 

Planète orbitant autour d'une étoile autre que le Soleil.

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Vue d'artiste de l'exoplanète Kepler en orbite autour de son soleil.

Une source hydrothermale dans l'océan

Atlantique.

Les strates de Yellowknife Bay sont des affleurements appréciées des géologues.  Photo : Curiosity

CLUPI produira des photos en couleur et en gros plan des roches.

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